vendredi 7 janvier 2011

[Chapitre 2]

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Je regardais le ciel, assis sur le toit plat de l'immeuble. La cité-ombre s'étendait à mes pieds dans toute sa laideur. J'avais entre les mains une petite ampoule remplie d'un liquide ambré aux reflets malsains.
Fen, un de mes compagnons d'infortune et locataire du premier étage venait m'y rendre visite de temps à autre. La conversation se limitait à un échange de banalités et de nouvelles sur la guerre qui progressait sur tous les fronts. Nous n'étions ni amis, ni même copains, mais avions des intérêts communs. Je le laissais donc passer par chez moi pour venir ici dans le but de lui échanger des bouteilles d'alcool -frelaté, je l'avoue et me repends- contre de la drogue. J'avais tout d'abord refusé ce que me proposait Fen. J'avais beau être désespéré, je voulais rester sobre et l'esprit clair le plus longtemps possible. Finalement, j'avais accepté le marché, à contre cœur voyant qu'il commençait à s'énerver. C'était un illuminé imprévisible et assez dangereux qui il n'était pas toujours bon de contrarier. Un jour, un homme visiblement soul l'avait interpellé grossièrement dans la rue, lui disant, si mes souvenirs sont bons, de retourner sur les trottoirs qu'ils n'auraient jamais du quitter. Son sang n'avait fait qu'un tour et le malotru s'était retrouvé plaqué contre un mur, un poignard sorti d'on ne sait où dardé sur sa gorge.
J'hésitais. Je n'avais pas encore touché à ce genre de choses de ma vie. Mais l'idée de me trouver, l'espace de quelques instants dans une ailleurs meilleur, quelque part un peu plus haut me poussa à agir. D'une main malhabile, je m'emparais du sachet et déchirais l'emballage de la seringue. Une résolution glacée s'empara de tout mon être. J'allais littéralement m'envoyer en l'air! M'effacer peu à peu de ce monde de morts-qui-marchaient-encore, devenir impalpable, invisible. Éteindre le peu de vie qui brûlait en moi pour devenir une Ombre parmi les ombres, tel était mon désir.

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Heine entra dans une salle grande, haute de plafond décorée de vitraux au fenêtres. Son cœur était sur le point d'éclater. Elle faisait semblait d'être forte, de ne pas craindre les sanctions. Mais ses mains tremblaient lorsqu'elle les posa sur le ventail de l'immense porte vitrée. Elle avait été convoquée et sommée de se rendre en toute hâte dans la Salle-Haute -nommée ainsi car elle était située au sommet d'une tour- pour y rencontre le Lord-Azur, chef de tous les occupants du quartier général. C'était, d''après ce qu'elle avait entendu à son sujet, un homme dur mais juste qui rassemblait à lui seul les qualités incarnées par l'Ordre des Dragonistes. Sévérité, dévotion et bonté. Heine, pourtant rebelle et insensible à toute forme d'autorité, si clémente soit elle, le craignait sans même l'avoir vu auparavant. De toute manière, si on lui avait ordonné de se rendre ici, ce ne pouvait être que pour la réprimander où lui assigner un travail supplémentaire.
La jeune femme entra, la tête basse, voilée par les mèches de ses cheveux qui tombaient en cascade joyeuse sur ses yeux et son visage. En cet instant, elle aurait préféré se trouver partout et nulle part, n'importe où sauf ici dans ce bureau qui faisait concurrence aux nuages, théâtre d'évènement inquiétants.
Une brume blanche emprunte d'étrangeté se répandait tout autour de sa silhouette, s'accrochant à chacun de ses pas. Elle était sans repères et se cognait de droite et de gauche sur ce qui devait être le mobilier. Enfin, Heine déboucha dans un vaste vestibule aux parois entièrement faites de cristal bleuté. Le plafond béait sur l'abime du ciel si profond. Stupéfaite, la jeune femme interrompit sa progression, admirant la vue qui lui était offerte. Elle demeura ainsi, debout au milieu de cet espace onirique ouvert sur les cieux. Plusieurs dizaines de minutes passèrent avant qu'une voix goguenarde ne lui ramène les pieds sur terre.

  • Hé bien, gente demoiselle Arc-En-Ciel, on rêve? Je ne suis pas très au courant mais il me semble que vous êtes attendue chez Messire Azur... tiens, quelle jolie coïncidence entre votre surnom et le titre de noblesse de... mais pardonnez moi, je divague, n'y voyez pas malice. Voulez vous que je vous y accompagne?
  • Non merci, je trouverai seule. Laissez moi passer s'il vous plait, j'ai comme vous me l'avez si gentiment rappelé un entretien avec le Lord-Azur. Je suis très en retard.

Avec un air amusé, l'homme lui répondit sans aucune hésitation.

  • Au point où vous en êtes, je pense qu'une minute où deux de plus où de moins ne changeront plus grand chose...

Heine lui adressa un regard sans aménité, le détaillant des pieds à la tête en se demandant qui était cet étrange personnage. S'il n'avait pas commis l'erreur de l'arracher à son rêve, elle l'aurait presque trouvé beau avec ses pupilles violettes et ses cheveux cendrés en bataille. Mais Heine était agacée. Trop pour voir son visage fin aux traits réguliers, son sourire en coin où d'autres détails, tels que les nombreux anneaux qui enserraient ses doigts longs, signant sa haute naissance; détails qu'elle aurait d'ordinaire remarqué. L'apprentie fît mine de poursuivre sa route sans l'avoir entendu. Cet homme aux manières si étranges...Pour qui se prenait-il à la fin? Heine marcha encore durant quelques mètres avant de se retourner. L'étonnement avait pris la pas sur la colère. Elle était ainsi, disant un jour blanc et le lendemain noir. Même d'une minute, sur l'autre, comment en cet instant; son comportement pouvait changer radicalement.

  • Vous avez surement raison...

L'homme lui sourit et s'inclina légèrement.

  • Ravi de vous l'entendre dire!

Heine n'arrivait plus à éprouver aucune antipathie à son encontre. Toute sa rage était retombée. Elle s'inclina à son tour, mal à l'aise et répondit d'une voix timide.

  • Pour ne rien vous cacher, je serais ravie si vous veniez. J'ai...
Le mot peinait à franchir ses lèvres. Une vague de honte l'engloutit alors qu'elle s'apprêtait à avouer sa crainte. Ne jamais avouer sa peur aux autres...sinon ils auront une prise sur elle, sur son être tout entier. Quelque chose d'étrange se produisit. Il devina...

  • Il est tout à fait normal que vous ayez peur. C'est intimidant d'être convoquée ainsi. Venez, je vais vous montrer le chemin.

Elle sembla hésiter mais n'eut pas le temps d'approfondir sa réflexion. Il l'avait sans aucune gène prise par la main et l'entrainait à sa suite. Heine voulut protester, se dégager et lui dire vertement ses quatre vérités mais la voix de son interlocuteur qui s'était faite encore plus douce, enfantine presque, l'en dissuada. Au bout de plusieurs dizaines de mètres de couloirs parcourus, ils arrivèrent devant une porte que le jeune homme ouvrit sans ménagement.

Face à eux, se tenaient deux des personnages les plus importants de la base: Le Lord d'Azur, assis à un bureau de bois précieux mais en désordre, et son second qui se tenait non loin, raide et l'air peu affable. La jeune fille serra la main de l'homme aux cheveux d'argent, cherchant un quelconque réconfort. Son esprit restait fixé sur la salle qui s'ouvrait sur le ciel et les mots lui venaient difficilement. Comment justifier leur intrusion en ce lieu?
L'homme à la droite de la table eut un rictus aimable comme la porte d'un cachot. Il n'était pourtant pas si imposant, sanglé dans un uniforme trop grand pour sa carrure frêle; Sans parler de son teint maladif et de ses yeux perdus dans le néant. Il avait tout simplement l'air ailleurs. Pas simplement dans une des deux lunes mais dans un autre monde... Pourtant, Heine ne pouvait s'empêcher de sentir la menace qui émanait de tout son être. Alors qu'il marchait tranquillement vers eux d'une démarche d'automate, elle aperçut l'éclat de deux dagues jumelles accrochées à sa ceinture. Le danger. Voilà ce qui lui vint en tête. Et puis, le temps s'arrêta.

Une où deux minutes durant, il ne se passa rien. Les nuages qui défilaient indolemment près de la Haute-tour se figèrent. Tout se passait comme au ralenti. Ayant conservé sa finesse d'esprit, Heine en déduisit qu'il s'agissait d'un puissant sortilège. Un de ceux dont on transmettait les secrets une fois toutes les milles révolutions de soleil afin que leur usage, jalousement gardé ne se perde pas par les injures de l'oubli.

Mais avant qu'elle ne puisse réagir de quelque manière, le Temps reprit sa course et l'entrave se dissipa.

  • Ravage, je vois que tu as trouvé ta nouvelle recrue. Je craignais qu'elle ne s'égare dans le labyrinthe des couloir. Il s'y passe des choses étranges tu sais...
    Quant à toi, Mald'aurore, ne fais pas un pas de plus... Tu effrayes mon hôte.

Le dénommé Mald'aurore retourna à sa place sans mot dire, obéissant sans se presser. Heine sentit sa respirations qui revenait à la normale. Une fois de plus, elle s'était montrée lâche. La jeune fille se sépara à regret de la main de son guide pour la porter à sa hanche. Mécontente, elle se mordait nerveusement la lèvre inférieure en tapant du pied par terre. Cet homme qui était censé représenter l'Ordre entier...c'était cet adolescent insouciant au visage souriant et puéril? Il devait à peine avoir deux révolutions de plus qu'elle; une de plus, grand maximum que Ravage, puisque tel était son nom.

  • Je ne comprend rien de ce qui se passe ici et ce n'est pas faute d'essayer! Alors soyez clair et cessez de m'ignorer!

De fait, elle comprenait bien ce qui se tramait. Trop bien peut être même. On allait la mettre sous la surveillance de quelqu'un qui rapporterait ses moindres faits et gestes. Heine fixa l'homme dans les yeux, attendant patiemment que ses craintes se confirment. Et s'ils pensaient qu'elle allait rester docile, sans réagir, ils se trompaient lourdement. Personne ne pouvait entraver sa liberté. Personne n'avait le droit de lui dicter sa conduite, tel était son credo; et ce n'était pas ce chef fantoche qui allait ouvrir la voie!

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Note: Eh oui, pour le moment, les chapitres sont de longueur carrément inégale, mais cela se rééquilibre par la suite ^^

1 commentaire:

  1. Neeeeeeeeeee !
    Comme dans tout tes écrits, tu zappes des passages, faut suivre, je crois que ton cerveau va trop vite pour ton clavier XD

    Mais mais.... Raph va être jaloux si son homme se fait reluquer, fais donc attention ;)
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